Comme George Dandin, Roberto Zucco est une farce tragique sur la perte d'identité. Avoir travaillé sur le personnage de Molière dans un premier temps a éclairé pour nous celui de Koltès de façon innattendue. Victime de son désir d'ascension sociale, Dandin a contracté une mésalliance avec une famille d'une classe supérieure à la sienne et se trouve, en fait, en marge, dans un no man's land fatal : plus maître chez lui, pas admis chez les autres. Dans Zucco, le parcours du personnage principal consiste en la perte progressive de son nom (c'est-à-dire ce qui l'inscrit dans la société humaine) et en l'identification à ses actes (qui le mettent au ban de cette même société).

Chez Molière, la descente aux enfers de Dandin est racontée de façon comique. Le tragique du parcours circulaire de Zucco (de la prison à la prison, des morts à la mort) n'exclut pas, loin s'en faut, les moments de bouffonnerie. Le comique affleure régulièrement, preuve pour nous qu'il est possible d'aborder, comme ici, un sujet grave sans pour autant tomber dans le pathos ou la noirceur totale. Même si la pièce fut écrite par un mourant et raconte une agonie (au sens étymologique du terme : une lutte contre la mort). Même s'il y est question du désespoir d'un monde sans amour... "Zucco est peut être fichu, mais pour l'instant, il est en train de grimper sur le toit et de se foutre de votre gueule."

Spécificité de notre travail sur Zucco : l'ajout d'un support vidéo qui permet de traiter une des thématiques qui nous importent dans la pièce : les différents univers dans lesquels évoluent les figures décrites par Koltès, qui jamais ne s'interpénètrent. Dans notre mise en scène, tous les personnages représentant la loi et les forces de l'ordre (gardiens, policiers) sont enfermés dans leur monde virtuel, tous interprétés par un même comédien qui revêt plusieurs apparences : tous semblables, mais en même temps différents, ces personnages numériques interrogent aussi sur les notions d'identité et d'isolement. Présences d'étranges mais aussi comiques, ces "clowns vidéos" commentent ou accompagnent l'action sans avoir de prise sur le réel. Comme une version contemporaine des comédiens d'Hamlet, ils apportent depuis leur castelet virtuel un autre point de vue sur la course folle de Zucco.

Roberto Zucco